Conférence de presse

Le Brésil. Les belles femmes, la musique, le football, également, mais aussi la Formule 1. Et quel circuit ! Deux lignes droites, onze virages, avec une surface particulièrement bosselée du fait de la nature de son sol. Un bitume qu'Edouard avait déjà roulé à 3 reprises, dont un podium.

Mais aujourd'hui, ce n'était pas jour de course, mais c'était bien le moment de la conférence de presse. Neuf ans auparavant, ce n'était pas le moment qu'il appréciait le plus, mais aujourd'hui, c'était différent. Les flashs, les questions, les têtes des journalistes... Tout cela lui manquait ! Alors quand il croisait Prost, mais aussi Senna, avec qui il avait commencé la Formule 1 étant de la même génération, et qui frôlait les sommets de ce sport à présent, son sang bouillait d'impatience...

Pas le temps pour les remords. C'était leur tour à présent, et sa première conférence de presse était en compagnie d'Alessio Tonali, une jeune pousse de la F1, mais très talentueux de ce qu'on disait de lui. Les quelques petits mots qu'ils avaient échangés étaient encourageants, mais trop brefs pour se faire une idée de l'homme qu'il était.

Edouard entrait finalement dans la salle de presse, avec une certaine hâte de revivre ces émotions qui lui manquaient tant.

On ne dénombrait pas moins d'une trentaine de journalistes et quatre énormes caméras prêtent à tourner les images qui diffuseront ces deux visages dans les pays les plus fidèles à la Formule 1. Le Monégasque et l'Italien avaient déjà leur place attitrée sur une estrade, devant une table où du champagne et de l'eau fraîche était à disposition. Tous les visages étaient braqués sur eux, alors que quelques murmures retentissaient encore dans la salle pendant qu'une femme portant les couleurs du staff de la Formule 1 donnait le micro à un journaliste d'un certain âge et au regard sévère.

- Frederico Alencar, pour le quotidien Zero Hora...

Le journaliste se racla grassement la gorge avant de fixer le jeune Alessio Tonali et de continuer de sa voix grinçante.

- Un poussin dans une écurie prestigieuse... Comment justifiez-vous vous-même ce choix ambitieux de Lotus quant à miser sur un gamin sans expérience en Formule 1 et, qui plus est, aux origines familiales douteuses ?

Réponse qui sera entendue et qui ne vaudra aucune répartie de la part du journaliste, puisque le micro aura déjà changé de main pour se poser dans celle de cette journaliste brune qui avait fait entrer les pilotes juste avant. Elle semblait largement intimidé par le monégasque, mais elle prit son courage à deux mains avant d'élever la voix fébrile.

- Cloe Bertucci, pour la Stampa.

Son accent italien ne manquait pas à l'attention du monégasque et encore moins à Alessio. Elle fixait néanmoins ce premier.

- On ne peut que se réjouir de votre grand retour parmi les vingt pilotes les plus talentueux au monde, M. Crain, mais... N'avez-vous pas la crainte des doutes qui peuvent resurgir en vous alors que la Fédération a autorisé des moteurs légèrement plus puissant pour cette saison? Que répondriez-vous à vos détracteurs qui affirment que vous n'avez plus votre place dans cette compétition et qui assurent que vous ne serez plus qu'un talent mort-né ?

Le monégasque venait s'installer à sa place, scrutant un à un les journalistes qui remplissaient la salle. La question du premier journaliste à Alessio fit hausser un sourcil à Edouard. Voilà qu'ils n'allaient pas l'épargner, pour une première. Une sorte de baptême dont les journalistes avaient le secret. Sa question ne se faisait pas attendre et c'était cette charmante journaliste brune qui lui avait posé la question, Cloe Bertucci. Voilà un nom qu'il retiendra. Mais avant toute chose, la réponse. Le pilote éclaircissait sa gorge pour répondre.

- Bonjour à toutes et à tous... Tout d'abord, je tiens à exprimer mon bonheur quant au fait d'être à nouveau devant vous aujourd'hui... Un très grand bonheur, oui.

Il hochait la tête négativement de gauche à droite.

- Non, je n'ai jamais eu de doutes ni de craintes, vous savez. Si un pilote ressent une telle émotion, c'est qu'il n'est pas prêt à courir à 300 km/h. Je me réjouis d'une telle décision, c'est très excitant, pour être honnête. Je n'ai qu'une hâte, c'est de sauter dans ma monoplace, et de tester ces fameux moteurs !

Puis le monégasque hochait les épaules.

- Un mort-né ? Vraiment, on dit ça de moi ? J'ai travaillé pendant neuf longues années pour être prêt pour ce jour, et je remercie d'ailleurs Minardi pour la confiance qu'ils m'accordent. Je pense que les mots ne servent à rien et qu'il n'y a qu'un seul endroit pour les faire taire : la piste !

Le natif de Palerme est le premier à s'installer, faisant face aux journalistes après un petit sourire tendu accompagné d'un signe de main. Ses yeux poursuivent alors le micro jusqu'au journaliste qui s'en empare, pétillant d'une excitation certaine. Stressé comme n'importe quel être humain le serait dans sa situation, Alessio était tout de même réjoui d'être assis à cet endroit précis, rentrant plus officiellement dans le cercle très privé des pilotes de formule 1.

Cependant, son sourire s'affaisse légèrement suite à l'intervention de Frederico, bien qu'il s'attendait et avait été préparé à ce genre de questions. Après s'être éclairci la voix, le nouveau pilote de chez Lotus prend pour la première fois la parole.

- Enchanté. dit-il d'abord, dans une tentative d'humour un peu bancale.

- Comme vous l'avez dit, Lotus est une écurie ambitieuse. Je suis le premier flatté et honoré de courir pour eux cette année, et j'espère que j'aurai vite l'occasion de vous montrer les raisons qui les ont poussés à me faire confiance.

Une réponse qui sonnait travaillée, comme la plupart du temps dans ce genre d'exercice. La bourde n'était pas permise et ne sera pas commise, du moins, c'est ce qu'il espérait.

- Pour ce qui est de ma famille, il ne me semble pas que ce soit l'endroit approprié pour en parler, j'aimerai ne pas avoir à revenir sur ce sujet, merci. ajoute-t-il sobrement, espérant que cela suffise à enterrer cette discussion.

La plupart des personnes présentent couchent sur papier les questions et réponses échangées, mais le micro continue de voyager de mains en mains avant qu'il ne trouve place entre celles d'une femme aux airs fins, typé asiatique. Elle se lève avant de s'incliner légèrement et de poser une question aux deux pilotes.

- Okamura Chihoko, pour quotidien Asahi Shinbun.

La japonaise s'exprimait dans un anglais plus ou moins basique.

- L'écurie McLaren et ses pilotes - Alaint Prost et Ayrton Senna - accaparent le podium depuis quelques temps. N'avez-vous pas peur que les Grand Prix deviennent prévisibles et sans enjeux majeurs ? Aussi, ne pensez-vous pas que le feu vert de la Fédération Internationale de l'Automobile vis à vis des nouvelles performances de moteurs est un pas en arrière avec la sécurité ?

Le micro sera ensuite accordé à un journaliste d'une quarantaine d'année, qui ne détachait pas son regard du nouveau pilote du constructeur Lotus.

- Paul Géricault, pour l'Équipe. Avant tout bonjour messieurs. Ma question est la suivante : Lorsque l'on est un pilote de Formule 1, on est souvent amené à se poser d'innombrables questions sur la sécurité, les consignes de la Fédération mais aussi et surtout de ce que l'on est capable de faire pour courir en toute sécurité. Il se dit néanmoins qu'une fois dans le feu de l'action, avec la pression et la chaleur dans la monoplace, la raison peut-être amenée à disparaître pour prouver à tout le monde que l'on peut grimper dans le classement. Pour faire simple, messieurs, pensez-vous être capable de prendre des risques inconsidérés pour obtenir le podium, voir mieux, le titre de vainqueur du grand prix ?

Les crayons contre les feuilles cessent soudainement, regards rivés sur les deux pilotes.

Bras croisés sur la table et buste légèrement avancé, Alessio se mordillait la lèvre inférieure tandis que la pression retombait lentement. Il n'hésitait pas à tendre l'oreille vers le traducteur présent lorsque les questions lui paraissaient trop complexes ou que certains mots lui échappaient. En effet, l'italien n'avait pas trop de mal avec l'anglais mais les accents étaient une autre paire de manche.

- Prévisibles ? Je n'aurai jamais signé en Formule 1 si je n'étais pas certain de mes capacités à accrocher n'importe quel pilote de cette compétition. Je pense à l'inverse que leur domination ne peut que motiver les autres compétiteurs que nous sommes, et donc, tirer l'ensemble vers le haut. Après, les meilleurs gagnent, c'est ainsi.

Alessio jette un regard sur Edouard, le laissant répondre à son tour avant de reprendre.

- Pour ce qui est de la performance des moteurs, je fais confiance à la FIA et aux différentes équipes techniques. Tant que ma monoplace est la plus performante possible par rapport aux réglementations, tout me va. ajoute-t-il dans un fin sourire.

Une réponse simple qui résumait clairement ses pensées sur le sujet.

- Bonjour.

Ses sourcils se froncent tant la question est longue et l'accent mauvais. Heureusement, l'homme à ses côtés vient à sa rescousse. Naturellement, Alessio laisse Edouard répondre en premier, puisque cette question faisait résonner son accident dans la tête de n'importe quel amateur de Formule 1. Une fois que le monégasque finit, l'italien enchaîne.

- Vous l'avez dit, en tant que pilote, nous nous posons d'innombrables questions. Les risques ne sont jamais inconsidérés, nous sommes tous conscients des dangers d'une course automobile. Cependant, si au moment de prendre votre virage, ou de n'importe quelle autre manœuvre, vous vous demandez si vous devez ralentir, prendre une trajectoire plus large... vous vous serez déjà fait doubler par trois ou quatre personnes le temps de réfléchir. Tout le monde veut arriver premier, parfois prendre des risques est nécessaire, cela fait partie du métier.

Edouard écoutait attentivement la question de ce journaliste asiatique avant de laisser la parole au plus jeune des deux pilotes. Il acquiescait d'un signe de tête, étant assez en accord avec les paroles d'Alessio, avant d'apporter des précisions.

- C'est sûr que quand on voit les deux mastodontes que sont Senna et Prost, ça pourrait décourager certains conducteurs. Mais nous sommes des pilotes, et notre essence pour aller de l'avant est bien cette concurrence entre nous. Comme l'a dit Alessio, c'est à nous, autres pilotes, d'hausser notre niveau de conduite. Sur la piste, ce n'est qu'un homme au volant d'une monoplace. Tout est possible.

Le monégasque se penchait vers son traducteur, ayant oublié la deuxième partie de la question. Ah oui, la sécurité... Un élément très important, sans aucun doute.

- J'ai totalement confiance en la FIA pour prendre des bonnes décisions. S'ils jugent que notre sécurité n'est pas mise en péril, c'est qu'elle ne l'est pas. La sécurité du pilote doit être le premier élément à regarder lorsque des changements sont apportés aux monoplaces.

La prochaine question lui était toute destinée, c'est pourquoi il avait fait un petit signe à Alessio pour qu'il puisse répondre en premier. La sécurité semblait être un élément qui revenait sans cesse dans les journaux, il se devait donc de dire quelques mots.

- Vous savez, chaque course comporte des risques. Chaque circuit a ses pièges, et nous étudions les parcours des centaines et des centaines de fois pour que notre trajectoire soit la plus parfaite possible. Malheureusement, et c'est ce qui fait la beauté de ce sport, il y a énormément d'éléments qui vont modifier ce que nous apprenons en théorie... Les autres pilotes, l'état du véhicule, notre position dans la grille... la météo... Les bons pilotes maîtrisent leur véhicule. Les as du volant ont cette petite étincelle de folie en plus... ce moment où nous oublions tout, et nous pilotons inconsciemment. Ce qui ne veut pas dire que nous devrons prendre des risques inconsidérés pour autant, attention. Il en va de notre sécurité, mais de la sécurité des pilotes autour de nous également.

Il laissait un petit blanc, avant de regarder Alessio, avant de reprendre. Le prochain message était pour lui, peut-être était-ce une façon de l'intimider gentiement ?

- J'avais presque son âge lors de mon accident. J'ai pris un risque, c'est vrai. Ma voiture n'a pas suivi, et j'ai frôlé la paralysie. Nous mettons notre vie en jeu à chaque course, à chaque virage. Mais c'est cette adrénaline qui nous pousse à aller de l'avant et à remonter dans la monoplace avant chaque course.

- C'était la dernière question, annonce la membre du staff de la FIA avant de sourire aux deux pilotes. Un dernier mot, messieurs ?

E. Krain et A. Tonali, après leurs dernières paroles, étaient libre de partir, mais sans échapper à une brève séance de photographie avec les officiels de la Formule 1 et de la Fédération Internationale de l'Automobile. C'est particulièrement l'italien qui attise les regards indiscrets des journalistes, dont le brésilien qui avait posé la toute première question. La porte de la salle est désormais ouverte, les suivants pourront entrer. Ce n'était que la première conférence de presse, mais les pilotes savent qu'une autre conférence sera à suivre dimanche, avant le départ, puis la conclusion de course. Les essais qualificatifs, eux, étaient à suivre...

- J'aimerais remercier mes nombreux fans pour leurs mots d'encouragements depuis le début de ma rééducation. Merci à ma famille et à mes proches également d'avoir été là. Et encore une fois, merci Minardi pour la confiance qu'ils m'octroient. J'ai hâte d'être à nouveau sur la piste et de donner le meilleur de moi-même, et j'espère que cette saison de F1 sera pleine de rebondissement.

Edouard se levait ensuite après avoir entendu les derniers mots d'Alessio, s'il en avait. Il prenait ensuite part à la traditionnelle séance photos. Le monégasque sortirait ensuite de la conférence de presse, saluant les prochains coureurs. Direction les essais !

- Je tiens simplement à remercier Lotus pour leur confiance. A bientôt.

Encore néophyte, Alessio n'avait pas la tête aux longs discours, ses pensées étaient déjà toutes tournées vers la suite des évènements. D'un signe de tête, l'italien clôt donc son apparition devant les médias, souriant fièrement en remarquant l'intérêt qu'il suscitait. Il se lève ensuite pour rejoindre le couloir où d'autres attendaient, jetant au passage un regard à son nouveau coéquipier avant d'emboîter le pas du monégasque.

Un jeune homme se tenait debout dans les coulisses, observant la conférence de presse qui se déroulait devant lui. C'était bientôt son tour : contrairement à certains, Daniel adorait les conférences de presse. Il aimait ses moments où il pouvait être sous le feu des projecteurs, face à tous.

Le jeune homme adorait jouer avec la presse, il connaissait l'importance des apparences et des jeux politiques dans le sport automobile, et il ne comptait pas changer sa manière de faire maintenant qu'il était en F1.

Daniel tapote doucement le sol avec son pied, son regard se posant tantôt sur les journalistes, tantôt sur les autres pilotes : Il en connaissait certains, notamment le pilote Lotus. Après tout, ils étaient concurrents en F2 et les voilà tous les deux dans la catégorie reine à présent. Il savait qu'Alessio était un pilote à redouter: après tout, ils se sont battus jusqu'à la dernière course pour se départager en F2. Daniel avait remporté le titre, et rien qu'y penser lui donnait un sourire, se remémorant avec amusement la tête d'Alessio sur le podium. Mais à présent, tout cela ne valait plus rien: plus personne ne pense à la F2, ils sont en F1, et Daniel a tout à prouver, encore une fois.
Étrangement, le Danois aimait bien la pression qu'il ressentait en ce moment, il savait qu'il pouvait l'utiliser pour se motiver et se battre face à ses rivaux.

Perdu dans ses pensées, s'imaginant déjà sur le toit du monde, Dan est rapidement ramené à la réalité par une main qui se pose sur son épaule et un membre du staff qui lui indique que c'est son tour à présent. Il hoche la tête et se dirige d'un pas décidé vers la conférence de presse: son visage est illuminé par un sourire taillé pour l'occasion.

- Bonjour.

Assis face aux journalistes, Daniel était indéchiffrable, toujours avec son sourire, prêt à répondre aux questions.

Une conférence qui sera cette fois pour un seul et unique pilote : le vainqueur de la saison de Formule 2 de l'année précédente. Directement propulsé chez Benetton, le jeune prodige a encore tout à prouvé, dont ce passage obligé face aux critiques des journalistes. Quelques flashs viennent aveugler les iris du pilote avant qu'une voix retentisse : le micro venait d'être donné, sans plus d'attente.

- Frederico Alencar, Zero Hora.

Premier fait, le journaliste n'avait pas encore adressé son regard envers Daniel - bien trop occupé à ratifier ses dernières questions avant de relever son crâne. Ses sourcils se froncèrent légèrement avant qu'il ne prenne recul contre le dossier de la chaise.

- Monsieur Erskin, pouvez-vous nous expliquer en quoi jouer avec le feu en Formule 2 ne vous coûtera pas la vie dans une Formule 1 ? Ne trouvez-vous pas que votre conduite est trop agressive, que de nombreux pilotes ont d'ailleurs déploré, pour être fiable aux yeux de l'écurie Benetton ? Et discuteriez-vous leur choix de vous laisser second pilote ?

- Bonjour, Frederico.

Daniel écoute la question avec attention, le regard perdu dans le vide. Il hoche simplement la tête, puis laisse un silence s'installer un petit moment. Daniel se racle ensuite la gorge.

- J'ai souvent reçu des critiques sur mon style de pilotage, je l'entend... mais nous sommes en Formule 1. Il s'agit d'un sport automobile, c'est la course, ce n'est pas un jeu d'enfant. Nous tous, pilotes, on accepte de prendre un risque en montant dans une monoplace. Si vous avez peur de vous blesser, ne faites pas de la course automobile.

Il hausse les épaules.

- Ensuite, ma conduite aggressive m'a permis de remporter le titre de champion du monde de Formule 2... La F1 nécessitera bien évidemment un temps d'adaptation, mais je ferais toujours le nécessaire pour gagner.

La dernière question du journaliste lui fait hausser les sourcils, mais il fait de son mieux pour ne rien laisser filtrer: il n'appréciait pas d'être pilote numéro 2, mais ça, bien entendu, il ne pouvait pas le dire.

- Non, l'écurie a fait une décision qui est, selon moi, la bonne. Alessandro Nannini est un pilote qui a déjà de l'expérience en Formule 1, et il pourra m'aider à progresser et m'améliorer.

Il fait un signe de la tête en direction de Frederico, et attend calmement la prochaine question en buvant une gorgée d'eau.

Journaliste qui n'aura pas de droit de réponse, puisque c'est une jeune brune qui vient d'avoir la parole.

- Cloe Bertucci, pour la Stampa.

À peine timide cette fois, elle s'ose à un sourire avant de se lever pour mieux se faire entendre malgré le micro.

- Démarrer chez Benetton est déjà grandiose, si j'ose dire, mais... M. Erskin, avez-vous des projets pour votre avenir en Formule 1 ? Mon prédécesseur a aussi souligné votre conduite que l'on peut qualifier d'inconsciente. N'avez-vous pas peur que cela soit un frein vis à vis de Ferrari ou de McLaren si vos perspectives s'aventurent aussi haut ?

- Démarrer à Benetton surpassait toutes mes attentes, je suis très heureux et très fier d'être dans cette écurie.

Il écoute le reste de la question avec attention, encore une fois.

- Je ne pense pas à changer d'écurie dès maintenant, mais dans cette situation... Je pense que des écuries aussi prestigieuses que Ferrari et McLaren choisissent des pilotes qui peuvent gagner et qui se donnent les moyens de gagner.

Daniel hausse de nouveaux les questions, il était agacé par les questions sur son style de pilotage. Ils pouvaient bien l'interviewer sur d'autres choses, quand même !

- Je n'ai rien d'autre à dire à ce sujet.

La jeune femme retrouve sa place avant qu'un homme ne prenne le relais.

- Paul Géricault, pour l'Équipe.

L'accent français rendait son anglais exécrable.

- En Formule 2, vous étiez constamment au coude-à-coude avec le nouveau numéro 1 de Lotus, M. Tonali. C'est une rivalité qui a fait couler beaucoup d'encre malgré le peu d'intérêt que le grand public voue à cette catégorie. Étant donné des classements constructeurs de l'année précédente et par conséquent de votre proximité, pensez-vous que nous auront le droit à la continuité de cette rivalité qui peut s'avérer explosive ? Et quels sont vos liens avec Alessio Tonali ? Merci.

Il semble se détendre, il aimait bien parler de sa rivalité avec Alessio. Daniel s'amusait à lancer une guerre psychologique avec son rival.

- Je pense que notre rivalité va continuer... Après tout, c'est ce que les gens veulent voir en Formule 1 ! Alessio et moi sommes deux pilotes professionnels, mais cette rivalité rend le tout plus intéressant, on essaye de prendre le dessus l'un sur l'autre, ce genre de chose.

Un sourire mesquin apparait sur le visage de Dan.

- Je n'ai pas de liens particuliers avec Alessio, c'est un pilote que je respecte. Je suis heureux de le voir en Formule 1, c'est quelqu'un qui mérite sa place ici...

Bien évidemment, il ne faisait que jouer le jeu des conférences de presse. Il aurait préféré qu'Alessio reste loin de lui, en F2, mais il l'écrasera en F1 aussi, pas de problème. Aucune animosité n'est visible dans la voix ou dans le comportement du Danois. Il rajoute ensuite, sur un ton un peu joueur. Il aimait bien amuser la galerie et faire les gros titres... mais il fallait que les résultats suivent sur la piste.

-... mais je pense être meilleur que lui, enfin, c'est ce que la saison de Formule 2 a montré.

Quelques photographies se font le temps que le micro trouve une place. La plupart des journalistes commencent déjà à partir, puisque l'heure des premiers essais libres de la saison approche. Néanmoins, un journaliste au nom de famille imprononçable se lève.

- Pour la rubrique sportive de la Rzeczpospolita. Bonjour monsieur Erskin. Je voulais savoir, ainsi que mes confrères j'imagine, quel effet vous a fait l'annonce de votre arrivée en grande pompe en F1 après votre victoire triomphante dans la catégorie inférieur. D'autres écuries vous ont-elles approché ? Et surtout, que pensez-vous de la venue d'une pilote féminine en Formule 1, recrutée chez March ?

- Oui, j'ai eu d'autres contact avec d'autres écuries, mais c'est avec Benetton que je me sentais le plus à l'aise.

Une communication maitrisée, hors de question de nourrir inutilement les rumeurs.

- L'arrivée de Iona Newey en Formule 1 est une bonne nouvelle pour le sport. Si elle a été recrutée, c'est qu'elle le mérite. Ce n'est pas plus compliqué que ça.

Daniel adresse un sourire aux journalistes encore présent.

- Merci d'être venus, mais l'heure des essais libres approche.

Après un bref signe de la tête, Daniel se lève, prend sa casquette Benetton et la met sur son crâne avant de s'éclipser.

La posture droite, la jeune pilote attendait son tour. Sa première conférence de presse... Iona gardait un air concentré. Répondre à des interviews était une des étapes obligatoires de sa carrière qu'elle se devait de maîtriser, même si ce n'était pas son passe-temps préféré.

Son regard parcourait les visages des interviewer et des interviewés, retenant le type de question posé et les réponses qui semblaient plaire. Il alla ensuite sur ceux qui n'étaient pas encore questionnés, plus par curiosité ; si certains semblait bien rompu à l'exercice, passer une conférence ne donnait pas pour autant l'impression générale d'être une promenade de santé.

Ses yeux continuèrent leur route, se posant sur son coéquipier à qui elle lui adressa un léger signe de tête, avant de reprendre leur route. Ils terminèrent leur course sur son voisin, un suédois qui avait déjà l'air au bord de l'évanouissement, au point d'en faire hausser les sourcils de la jeune femme. Si parler le stressait déjà autant, pensait-elle, qu'en sera t-il sur les pistes?

Deux portes se trouvaient dans cette salle : l'entrée par laquelle entrent et sortent les pilotes et journalistes ; ainsi qu'une sortie de secours, discrète et à côté de l'estrade où se trouve la table et l'emplacement de Iona et de Johan. Du champagne est à profusion sur la table où sont installés les pilotes, avec des apéritifs et quelques bouteilles d'eaux. Les journalistes sont intéressés par Newey.

- Paul Géricault, pour le journal sportif français "l'Équipe". Comme à son habitude, l'accent du journaliste maltraitait la langue de Shakespeare, bien qu'il avait un vocabulaire basique. Une question pour Iona Newey. Avant tout bonjour, mademoiselle. Le feu des projecteurs, et c'est peu de le dire, semble se braquer sur votre petite personne et les critiques fusent déjà dans les journaux sportifs du monde entier. Il se dit que vous êtes là car vous êtes simplement née dans une bonne famille. D'autres, plus virulent, qu'une femme n'a strictement rien à faire en Formule 1. Qu'avez-vous à leur répondre ?

Bien que la question était prévisible, il fallait, pour le français, briser la glace tout de suite. Le micro changera ensuite de main pour trouver celles d'un polonais, travaillant pour le journal "Rzeczpospolita".

- Une question pour M. Nitälskan. Bonjour. Lotus, qui est une écurie de haut de tableau, a misé sur vous pour remplacer l'un des deux pilotes de l'année dernière. Un choix que peu de gens ici comprennent, bien que nous avons tous noté votre régularité lors de la saison dernière en Formule 2. Pensez-vous qu'ils aient sondé en vous une sorte de don quant à leur assurer un bon classement constructeur ou que c'est simplement un pari risqué, voir un manque de pilote compétents cette année ?

Ses yeux plantés bien droit dans ceux du journaliste qui l'interviewait, Iona n'était pas impressionnée pour deux sous ; la jeune femme s'était préparée inlassablement pour des questions aussi basiques que celles ci, bien consciente que sa position en temps de femme dans une écurie qui devait encore faire ses preuves faisait jaser.

Bonjour. Je rappellerai d'abord à certains détracteurs que la formule 1 est mixte. Pour les autres, si March m'a choisi en tant que première pilote, ils ont mieux à parier sur ma performance que sur ma soi disante place dans une "bonne" famille.

Sa réponse était courte et peut être un peu sèche ; Iona, même si elle n'était pas mal à l'aise, n'appréciait pas particulièrement les interviews.